jeudi 26 avril 2012

Lettre d'un militant du 21 avril au futur Président de la République

François,

Je m'adresse à toi comme au futur Président de la République non seulement parce que les pronostics, non seulement parce que l'espoir mais surtout parce que ta victoire, notre victoire le 6 mai prochain est une absolue nécessité.

C'est nécessaire pour le France, mon pays que j'aime mais dont j'ai eu si souvent honte ces dernières années, déjà bien trop à l'échelle de ma vie qui n'est pourtant pas encore si longue. C'est nécessaire pour l'Europe, ce projet auquel ma génération croit comme on croit à une évidence, mais dont nous aimerions maîtriser la construction, et non la laisser à des experts autoproclamés qui ont jusqu'ici surtout fait la preuve de leur dogmatisme et de leur incompétence.

C'est surtout nécessaire pour moi, et avec moi toute une génération qui s'est indignée en 2002. Indignée contre la France qui n'est pas allée voter et qui a permis l'accès du Front National au deuxième tour de l'élection présidentielle, mais indignée surtout par le gouvernement et le Parti Socialiste qui n'ont pas été capables d'être crédibles et de mobiliser. Beaucoup sont venus en même temps que moi dans ce parti pour le changer. Beaucoup l'ont quitté, désillusionnés par la lenteur du changement pourtant promis sans cesse et par la compromission de ceux qui, la veille, portaient la rénovation à corps et à cris. En bref, désillusionnés par une façon de faire de la politique propre au siècle dernier dont, je suis désolé de te le dire, tu as été le responsable durant de longues années. Mais d'autres se sont accrochés, comme moi, et ont continué de croire que le socialisme ne peut vivre que par le Parti Socialiste et que notre parti a un avenir. L'organisation et la réussite des primaires et de l'immense campagne de mobilisation sur le terrain nous ont, je crois, en partie donné raison. Et maintenant la victoire semble à portée de main.

Mais l'est-elle vraiment ? Je ne veux pas oublier pourquoi je me suis engagé. La lutte contre l'extrême droite. Je ne veux pas et je ne risque pas de l'oublier tant cela m'a été rappelé abruptement, douloureusement par la perte insensée de nos camarades norvégiens. Car l'extrême droite, partout, sait comme nous le savons que le socialisme est la meilleure arme contre elle. Dix ans après 2002, le Front National n'est certes pas au second tour de l'élection présidentielle, mais il a doublé son nombre de voix. Je crois que c'est presque pire. La faute au cynisme du candidat sortant ? La faute à la désinvolture et la défaillance du gouvernement actuel ? Admettons. Mais le résultat est bien là et il représente à mon sens l'un des défis majeurs de ton mandat à venir car c'est notre République qui est en jeu. Et c'est justement le rôle primordial du Président que de la préserver.

Alors je te le dis sans détour, et avec moi tous ceux qui n'ont pas accepté le 21 avril 2002 comme une fatalité : tu ne pourras pas, le gouvernement que tu vas nommer ne pourra pas gouverner comme vous avez gouverner de 1997 à 2002. Non, je ne rejette pas les avancées qui ont eu lieu sous ce gouvernement mais je dis simplement qu'il faudra voir chaque petit renoncement, chaque petit arrangement comme un coup de pouce à l'extrême droite. Etre crédible, ce ne sera pas expliquer pourquoi tout ne sera pas possible parce que le contexte ou quoi que ce soit. Etre crédible, ce sera tenir le cap, comme tu l'as fait durant cette campagne, parce que l'on sait où l'on va quoi qu'en disent les "experts" et les tenants de l'ordre établi.

Etre crédible, ce sera redonner confiance dans l'action politique en faisant vraiment une République irréprochable, en faisant toute la lumière sur les affaires qui donnent au gouvernement actuel un air de cartel du crime organisé, en donnant à la justice toute l'indépendance dont elle a besoin, en garantissant la liberté de la presse autant vis à vis du pouvoir politique que des forces de la finance, en rénovant nos institutions et en mettant une bonne fois pour toutes fin au cumul des mandats qui est tout simplement une aberration que l'ensemble des pays démocratiques regarde avec incrédulité.

Etre crédible, ce sera redonner un sens aux valeurs de la République. Plus nos concitoyens seront intimement convaincus que les notions de Liberté, d'Egalité et de Fraternité ont une application concrète dans leur vie, plus ils voudront les défendre. Il faudra donc lutter sans cesse contre toutes les discriminations et garantir l'égalité des droits. Il faudra mettre un terme rapide au traitements indignes dont sont victimes des êtres humains, quel que soit leur statut, sur le territoire de la République. Il ne faudra jamais transiger avec la laïcité car la liberté absolue de conscience est le socle de toute émancipation et la démystification est la base du vivre-ensemble.

Etre crédible, ce sera innover. Innover sur tous les fronts parce qu'il n'y a aucune raison que les recettes qui ont échoué au 20ème siècle fonctionnent au 21ème. Sur l'emploi, sur l’environnement, sur la politique industrielle, sur la gestion budgétaire et j'en passe parce qu'au fond tout cela se tient, il faudra innover et faire confiance aux solutions que peut proposer la nouvelle génération.

Etre crédible, ce sera donner un avenir à la jeunesse. Et ça ne veut pas dire lui en donner un "clef en main" pensé pour elle à sa place. Ceux et celles qui n'ont jamais connu le Mur de Berlin et l'alternative politique qu'il représentait, celles et ceux qui n'ont jamais connu l'amour sans l'obligation de se protéger de celui ou celle avec qui on le pratique (suspicion la plus intime et la plus angoissante parce que la plus absurde), ceux et celles qui n'auront jamais la facilité de polluer pour faire de la croissance, celles et ceux qui sont connectés en permanence avec leurs semblables au coin de la rue comme à l'autre bout du monde n’appréhendent pas le monde comme leurs parents et doivent pouvoir apporter leur originalité dans la construction du monde dans lequel ils vivront et dans lequel, je suis désolé de le dire ainsi, ceux de ta génération ne vivront plus.

Je t'accorde qu'il n'y a peut être rien de bien original dans cet espèce de catalogue de préconisations que je viens de faire. Mais tant pis. Je reste convaincu que la véritable victoire ne se jouera pas le 6 mai prochain (j'ai déjà dit que celle-ci était absolument nécessaire) mais en 2017 lorsque viendra le temps de savoir si oui ou non nous aurons été capables de battre l'extrême droite, quelle que soit sa forme à ce moment là. Car l'actualité nous prouve que la droite, du moins une partie, ne sera pas notre alliée dans ce combat pour la République et contribuera un peu plus au brouillage des pistes, ajoutant un obstacle à un parcours déjà compliqué.

Compte sur moi, compte sur nous, François, pour faire campagne sans relâche jusqu'au bout, jusqu'au 6 mai, jusqu'à l'élection d'une majorité forte au Parlement pour travailler à tes cotés. Mais compte aussi sur moi pour rester vigilant au-delà de ces échéances. Parce que je me souviens pourquoi je me suis engagé.