jeudi 21 avril 2011

L'échec du jour

C’est bien sûr celui de la gauche à atteindre le second tour de l’élection présidentielle, il y a neuf ans aujourd’hui.


Il ne s’agit pas de revenir encore une fois sur les raisons de cette défaite, mais plutôt de regarder le chemin parcouru depuis.

Je fais partie de cette génération marquée profondément par le 21 avril 2002. Pas encore majeurs, pas encore vraiment militants malgré un meeting de Lionel Jospin et quelques débats au lycée, lorsque s’affichait le visage de Jean-Marie Le Pen au second tour, nous avons ressenti une indignation féroce nourrie par l’impression de s’être fait dépossédé de ce qui nous était le plus précieux. Ce qui nous était le plus précieux ? Notre assurance que la France était un pays singulier, notre croyance dans la marche inexorable du progrès, notre confiance en l’avenir,…

Cette intuition nous a transportés dans les rues par centaines de milliers. Nous avons marché le 22, le 23, le 24 et tous les jours suivants. Le 1er mai, nous nous sommes retrouvés avec tous ceux qui n’avaient pas pu venir jusqu’alors. Et que disaient nos pancartes ? « Ni facho, ni escroc ! » reflétant le désespoir de beaucoup de ne pouvoir choisir qu’entre la droite qui pue et la droite qui ment. Et, par-dessus tout, un message au monde : nous ne sommes pas cette France-là.

Puis il faut bien trouver un débouché à toute cette indignation car c’est assez d’être impuissants, il nous faut agir. Mais comment ? Contre qui sommes-nous en colère ? Contre l’extrême-droite ? Elle n’a, au fond, que le tort d’exister. Contre la droite qui fête plus ou moins discrètement une victoire jusque là si peu probable ? Pouvions-nous attendre mieux de leur part ? Non. Décidemment, c’est bien contre la gauche que nous en avons à ce moment là.

Plus précisément, c’est l’ordre établi à gauche que nous voulons remettre en cause car les militants sont à nos cotés dans la rue. Et ces militants nous proposent de les rejoindre sur un projet : transformer le PS pour transformer la société.
La transformation du PS ? S’il n’est pas fichu d’être au second tour de la présidentielle, c’est bien qu’il y a quelque chose de pourri dans son fonctionnement.
La transformation sociale ? Bien sûr que c’est ce que nous voulons !
Et puis, c’est ça ou ne rien faire, alors ça vaut le coup de tenter l’aventure.

Neuf ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ?

Nous avons à nouveau perdu en 2007. Au moins, nous étions au second tour. Notre candidate nous explique même que c’est une victoire. Ouais, passons.

De victoire en victoire aux élections intermédiaires, le cumul des mandats est toujours la norme, y compris pour ceux qui nous avaient recrutés en 2002 en prônant tout le contraire. De renoncements en contournement des règles, le renouvellement est vraiment marginal et le PS a quand même tout l’air d’une fédération de baronnies locales.

Il se passe quand même quelque chose d’important en 2008 pour le congrès de Reims. Le courant majoritaire ne l’est plus. N’imaginant pas une seconde un autre mode de fonctionnement que le consensus mou, il se range aussitôt derrière celle qui semble la plus « crédible », mot à comprendre ici comme l’antonyme de radical (parce que c’est bien connu qu’on ne peut pas être les deux), Martine Aubry.

Aujourd’hui, force est de constater que le PS a plus travaillé en deux ans que dans les huit années précédentes. Et dans le bon sens, en plus, celui de la transformation sociale. Mais qu’est-ce qu’un projet, même très bon, s’il n’est pas mis en œuvre ? Que font concrètement les socialistes là où ils sont aux affaires ? Ils gèrent. Très bien pour la plupart d’entre eux. Mais combien mettent concrètement en œuvre nos propositions ? Tous et aucun à la fois. De très belles choses sont faites, mais sans aucune cohérence nationale. D’une collectivité socialiste à l’autre, un même dispositif peut porter des noms différents, le public visé n’est pas tout à fait le même. Sur un même territoire, deux collectivités socialistes se renvoient la balle, voire s’affrontent au sujet d’une infrastructure ou d’un aménagement. L’une gère son eau en régie, l’autre en DSP, mais les deux présidents se font prendre en photo avec Danielle Mitterrand à La Rochelle. A croire que nos représentants ont deux cerveaux : un pour le parti et un pour leur mandat. A croire aussi que le PS est décidemment peu de chose face à ses élus.
Au lieu d’utiliser la décentralisation et notre maillage exceptionnel du territoire pour montrer ce que nous feront en 2012, la différence entre la droite et le gauche demeure bien floue aux yeux de nos concitoyens.

Ce problème est intimement lié à nos pratiques. Rénover le parti est devenu une revendication de tous, à condition de le faire plus tard. La fin du cumul des mandats est toujours une promesse. On voulait être exemplaire avant 2012 ? On attendra après. Et on le fera peut-être. Heureusement il y a les primaires. Après avoir réussit à faire revenir des intellectuels dans ses débats, ce qui est déjà une belle réussite, le PS va enfin s’ouvrir en grand, en très grand. Espérons que le message passera et que le peuple de gauche n’est pas définitivement désabusé. En tous cas, démontrons que ce n’est pas du bluff.

En 2002, le nez dans le guidon, l’échec a pu faire l’effet d’une bombe. En 2012, les socialistes n’auront pas cette excuse, tous les signaux d’alerte sont activés.
On sait que les dix années qui viennent de passer ont eu un effet ravageur sur l’espoir qu’ont les gens que la politique améliore leur vie. On sait aussi que cette désillusion vaut autant pour la gauche que pour la droite, à tort ou à raison. On sait enfin que le monde entier est agité par une même revendication : reprendre la maîtrise de nos destinées individuelles et collectives.

Il faut donc que le PS en tire les conclusions qui s’imposent et qu’enfin, pour de vrai, il ne se borne pas à proposer l’alternance. On ne gagnera pas avec les pratiques qui nous ont fait perdre. On ne gagnera pas avec les postures qui nous ont fait perdre. On ne gagnera pas non plus avec la génération politique qui nous a fait perdre. Le peuple de gauche, en particulier les jeunes, ne pourront pas se contenter de glisser un bulletin dans une urne, il faut leur proposer de s’approprier collectivement cette campagne. Parce que si l’échec du jour est bel et bien celui d’hier, il est hors de question qu’il soit celui de demain.

5 commentaires:

  1. Quentin, témoignage précieux, j'adore te lire. Et tu ne fais pas qu'écrire, tu agis. J'admire. J'espère qu'on sera encore amis pour longtemps. J'en connais, qui tenaient, je crois, le même type de discours à ton âge, et qui.... ont vieilli !!!!!! ET L'INTÉGRITÉ, bordel !

    Julie

    Il est mieux là, mon commentaire.

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  2. Merci pour ce texte un peu plus complet que ce qu'on a pu lire / entendre toute la journée ...

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  3. @Julie : même si on ne se voit pas souvent, je t'assure que oui. Merci

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  4. Un plaisir de te lire cher Quentin. Joie de voir que tu n'as pas perdu de ton enthousiasme dans le projet de transformation de la société, malgré les errements idéologiques du PS, qui pendant de nombreuses années, avait peut être oublié de qui il devait être la voix : les ouvriers, les employés, les salariés, et plus généralement le grand nombre. Ce grand nombre désabusé par le recul de la gauche, et de son parti majoritaire - le PS- , dans le débat d'idée. Mais une voix n'est forte que si elle est une force en action.
    Gageons que 2012 ne sera pas une voix de plus à prêcher dans le désert : ce désert c'est celui de la résignation politique, de la "bonne parole" des gestionnaires pour lesquels on ne peut plus rien faire pour ce pays. Ce désert, c'est aussi celui de la vieille antienne du perpétuel bouc émissaire, soit disant responsable de tous les maux de la société.
    Je crois que la gauche à un boulevard pour 2012, et qu'elle ne devra pas tomber dans les ornières de "la victoire des progressistes contre le sarkozysme", la facilité de la "parole de vérité ", et tout ce blabla centriste qui ne réunira même pas la gauche. Elle devra convaincre non pas sur sa capacité à s'opposer à des épouvantails idéologiques comme M-Le Pen, mais sur sa prétention à gouverner le pays pour le refonder sur des bases républicaines ambitieuses.
    2012 ne devra pas être une répétition de 2002, ni de 2007 : la présidentielle devra faire renouer la France républicaine avec l'idéal de transformation qu'elle a toujours cherchée dans son Histoire, lui redonner confiance en elle-même, et lui redonner aux yeux du monde l'image de la grande nation politique qu'elle a toujours été depuis 1789.
    En espérant nous revoir un jour : la bise à Gauthier et Magalie.
    Un ancien.

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  5. Je veux bien transmettre autant de bises que l'on voudra, à condition de savoir de qui ;)
    Si l'ancien anonyme veut le rester (anonyme) il suffit de m'envoyer un mail.
    Merci en tous cas.

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