jeudi 10 mai 2012

Le Premier ministre du jour

Ce devrait être Martine Aubry.

Il ne faut pas lire dans ce "devrait" une prémonition que j'aurais lue dans les entrailles de je ne sais quel animal politique ou dans le vol de je ne sais quel oiseau de bon augure, mais une affirmation de mon avis tout personnel sur ce qu'il conviendrait le mieux de faire.

A l'heure où je rédige ceci, il semble qu'aux yeux des analystes de la vie politique, les finalistes soient Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes et président du groupe socialiste de l'Assemblée Nationale, et donc Martine Aubry, maire de Lille et chef du Parti Socialiste. Premier point que je souhaite éclaircir : le Président de la République est seul à prendre cette décision et peut nommer qui bon lui semble. Une surprise n'est donc pas à écarter.

Mais il semble qu'on puisse prendre au sérieux ces pronostics. Alors comparons. François Hollande a clairement dit durant la campagne, en regardant Nicolas Sarkozy dans les yeux : "Moi Président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité. Moi Président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur." C'est clair. Il veut quelqu'un qui soit clairement capable de rassembler la majorité parlementaire et de la faire travailler, mais aussi quelqu'un qui gouverne pleinement et qui ne soit pas à plat ventre devant lui, le Président de la République.

Sur le premier point, chacun des candidats putatifs a des atouts à faire valoir. Jean-Marc Ayrault est d'ores et déjà le chef des députés socialistes. Il connait l'ingénierie parlementaire, il sait rassembler ses collègues et dégager des consensus. Ces qualités sont primordiales, surtout si la majorité est plurielle. Mais Martine Aubry n'est pas en reste, elle qui a su remettre un Parti Socialiste exsangue en ordre de marche en donnant sa place à chacun, qui a permis l'exploit d'organiser des primaires ouvertes dont personne n'a remis en cause la réussite ni la légitimité et dont le Parti est sorti encore plus fort et rassemblé derrière son candidat. Elle qui traite, aussi, avec les autres partis de gauche depuis plusieurs années déjà et qui a déjà conclu un accord parlementaire avec les écologistes. C'est elle, enfin, comme chef du Parti qui va logiquement mener la bataille des législatives.

Sur ce premier critère, selon moi, Martine Aubry l'emporte aux points puisqu'au simple rassemblement elle apporte l'assurance de la mise en dynamique.

Sur le gouvernement, quelle est l'expérience de Jean-Marc Ayrault ? Tout comme François Hollande, il n'a jamais été ministre. Le Président élu nous a prouvé que ce n'était pas rédhibitoire, mais on peut quand même se demander si faire un doublet serait vraiment judicieux. D'autant que François Hollande s'est toujours justifié sur ce point en expliquant qu'en tant que chef du Parti il était toujours associé aux décisions du gouvernement de Lionel Jospin. Or c'est Martine Aubry qui lui a succédé dans cette fonction. Martine Aubry qui a été ministre a plusieurs reprises et numéro deux du gouvernement Jospin, qui a eu à porter les dossiers emblématiques de ce gouvernement (réduction du temps de travail, emplois jeunes, couverture maladie universelle, etc...) et qui l'a fait avec force et brio.

Mais en admettant même qu'on fasse l'excuse de l'expérience à Jean-Marc Ayrault, qu'en est-il de son potentiel caractère comme chef du gouvernement ? Il faut rappeler qu'il a toujours été dans le même courant que François Hollande au sein du Parti Socialiste, il ne l'a donc jamais affronté mais toujours suivi. Tout ce qui a pu être reproché au nouveau Président lorsqu'il dirigeait le Parti quant à son manque de fermeté idéologique, quant à son incapacité à trancher s'applique exactement au président du groupe socialiste. Mais si François Hollande a pu prouver tout au long de la campagne que ces critiques ne valaient plus, la première décision du maire de Nantes pour se libérer la voie vers Matignon a été de "prendre du recul", comme il l'a dit, sur le dossier de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui l'oppose depuis plusieurs années aux écologistes et agriculteurs de sa région. Prendre du recul, c'est à dire reculer.

 Martine Aubry a, sur le fond, toujours été proche de François Hollande. Mais elle a su s'en démarquer lors du dernier congrès, qu'elle a remporté, alors qu'il laissait le Parti dans un état catastrophique. Elle a remis les militants au travail et s'est entourée d'intellectuels, de Fabienne Brugère, jeune philosophe, à Axel Khan, généticien reconnu et spécialiste des questions bioéthiques. Elle a tiré de toutes ces réflexions collectives un véritable projet de société, une vision, autour du concept de care. Vision qu'elle a pu développer lors de sa campagne des primaires et qui l'a tout de même amener au second tour face à François Hollande. Au lendemain de ce duel, sans état d'âme, elle a lancé toutes les forces du Parti qu'elle a reconstruit dans la campagne en faveur de son concurrent d'hier. Malgré les rumeurs d'incompatibilité personnelle entre eux, elle a fait preuve d'une loyauté et d'un enthousiasme sans faille.

Si François Hollande veut tenir sa promesse, donner à la France un Premier ministre qui soit le véritable chef de la majorité et le véritable chef du gouvernement, je pense qu'il y a peu de doutes sur laquelle, de Jean-Marc Ayrault ou Martine Aubry, peut le mieux s’acquitter de ces responsabilités.

En ce 10 mai, on peut aussi se souvenir que François Mitterrand, en 1981, avait fait confiance à Pierre Mauroy, son adversaire dans les congrès et... maire de Lille.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire